Pour que les femmes ne meurent plus en donnant la vie à Korhogo
En Côte d’Ivoire, 4535 femmes meurent chaque année en accouchant. A Korhogo, l'OMS appuie la sensibilisation et l’amélioration de la qualité des soins maternels
Maniant avec aisance le français, le malinké et le senoufo, Mme Saly K. s’adresse à la cinquantaine de personnes qui composent son auditoire, en grand majorité des femmes, leur expliquant l’importance des consultations prénatales, de l’accouchement assisté par un personnel qualifié et des soins aux nouveau-nés et aux enfants.
Sage-femme au Centre de Santé Rural (CSR) de Waraniéné, localité située à environ 5 kilomètres de la ville de Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire, Saly K. tient chaque jour ces séances de sensibilisation. « Malheureusement, les femmes arrivent toujours tardivement au centre de santé pour leur première consultation prénatale, ce que nous appelons la CPN-1. Je pense que c’est culturel dans la zone parce qu’aucune femme ne vient en CPN à un mois ou dès le début de sa grossesse. Celles qui viennent tôt, elles sont parfois au 3ème mois voire au 5ème mois de leur grossesse », explique-t-elle.
Dans la localité de Dassoungboho, située à environ 15 km de Korhogo, le constat est le même. Charlotte S. et Lacina S., respectivement sage-femme et infirmier au Centre de Santé Rural de cette Sous-préfecture, ne disent pas autre chose. « Ici, les femmes arrivent toujours très tard au centre de santé pour leur CPN1. Il y’a beaucoup de pesanteurs socio-culturelles. Par exemple, le mari doit donner son accord, ou encore la grossesse doit rester cachée pendant un bon moment pour éviter les mauvais esprits et les mauvais génies. La femme n’est jamais sûre d’arriver au terme de sa grossesse », disent-ils en chœur. « Vous avez vu la jeune dame que je venais de recevoir », dit la sage-femme, « elle est à sept mois de grossesse et elle était à son deuxième rendez-vous seulement aujourd’hui. Pour vous dire que ce n’est pas facile », déplore la jeune sage-femme en fonction depuis 3 ans dans la localité.
En Côte d’Ivoire, le ratio de mortalité maternelle est estimé à 614 décès pour 100 000 naissances vivantes, selon l’Enquête Démographique de Santé 2012. Rapporté à la population en Côte d’Ivoire en 2020 (26 378 274 habitants), ceci correspondrait à environ 4535 femmes qui meurent chaque année en donnant la vie. Imaginons 25 avions avec chacun à bord 180 passagers qui s’écrasent chaque année. Tout simplement inacceptable !
Le District sanitaire de Korhogo1 n’échappe pas à cette triste réalité. En 2020, selon la Coordinatrice de la santé maternelle et infantile du district, Mme Kouassi Ahou Esther, « le district a enregistré 54 décès maternels. Ce chiffre a connu une baisse en 2021, chutant à 23 décès maternels. Pour l’année 2022, un cas de décès maternel a dejà été enregistré en janvier ».
Les causes des décès sont pratiquement les mêmes dans les pays de la région africaine. Le dernier rapport du district indique que les hémorragies du post-partum, les infections maternelles, les complications de l’hypertension artérielle et les ruptures utérines sont les principales causes des décès maternels dans la région.
Pour combattre ce fléau, dans le cadre de son soutien à la politique sanitaire nationale, l’OMS appuie la surveillance des décès maternels et riposte à travers la collecte et l’analyse des données pour chaque décès maternel notifié, le soutien à l’amélioration de la qualité des soins par le renforcement des capacités des agents de santé, la diffusion des standards de qualité, le suivi de la mise en œuvre des actions pour améliorer la qualité des soins. Ces actions se font dans tous les districts sanitaires du pays, y compris Korhogo 1.
Dr Ohouo Brou Samuel, consultant en charge de la santé maternelle, néonatale et infantile au Bureau de l’OMS à Abidjan résume la situation : « Dans l'ensemble, la sensibilisation a porté ses fruits, eu égard à l'affluence observée dans les établissements sanitaires de premier contact et au nombre de personnes venues consulter pour d'autres affections en dehors de la santé mère-enfant. Les causes des décès maternels sont connues pour la plupart ».
Au cours de la campagne de consultations foraines gratuites organisées pendant une semaine avec le soutien de l’OMS, plus de 3.000 femmes ont participé aux sessions d’information, environ 1.000 femmes enceintes ont été vues au cours des CPN, 328 autres ont été consultées pour leur état nutritionnel. La recherche active a permis de retrouver 135 femmes enceintes et 518 enfants non vaccinés, alors que 1.601 enfants ont été rattrapés pour améliorer leur état nutritionnel. « Nous faisons ce type de sensibilisation tous les jours au sein du centre de santé, et parfois en stratégie avancée, c’est-à-dire que notre équipe se déplace au sein de la communauté pour faire des sensibilisations ».
Dans le cadre de la campagne de consultations foraines gratuites, des dispositions ont été prises pour mobiliser les populations à participer massivement à ces séances. Selon une mère rencontrée au centre de santé rural de Dassounghoho, « la vaccination évite à l’enfant beaucoup de maladies. Quand l’enfant se porte bien, ça me permet de faire mes travaux ».
Cette autre femme enceinte rencontrée au centre de santé de Waranièné ajoute, en souriant, « je suis venue à mon rendez-vous parce que la sage-femme m’a expliqué que si je respecte tous mes rendez-vous je vais accoucher normalement, sans problèmes. Mon bébé va naître en bonne santé, et moi aussi je serai en bonne santé ».
La situation des décès maternels à Korhogo 1 s’améliore
« Les chiffres ont baissé entre 2020 et 2021 parce qu’il y a une meilleure maitrise des techniques de prise en charge des grossesses par les sages-femmes et les infirmiers. Nous faisons de l'accompagnement sur site après les revues des décès. Nous faisons également des mises à niveau des sages-femmes et des infirmiers sur les difficultés révélées par les résultats des revues, par exemple sur les hémorragies du post-partum, le partogramme, comment gérer une hypertension de la grossesse, etc. », explique K. Esther, Coordonnatrice du programme santé maternelle au district sanitaire de Korhogo 1.
Au Centre de Santé Urbain (CSU) de Karakoro par exemple, Falone M., la sage-femme explique qu’elle pratique en moyenne 30 accouchements par mois. Elle bénéficie également de l’appui du niveau central, à savoir le district sanitaire. En effet, la coordinatrice des activités de santé maternelle qui est une sage-femme expérimentée, fait un accompagnement sur site pour certaines sages-femmes qui ont des besoins de renforcement de capacités.
« Je pense qu’on devrait conduire ce type d’activités régulièrement, tous les deux voire trois mois. Elles permettraient d’améliorer nos indicateurs et de maintenir le niveau de motivation et d’engagement communautaire », a conclu Mme K. Esther.
En termes de défis, les acteurs ont relevé qu’il faut un renforcement du plateau technique à certains endroits. Certains centres de santé ruraux ont seulement besoin de tables d’accouchement, d’autres attendent d’être raccordés au réseau national de distribution d'eau et d’électricité. Il importe aussi renforcer le réseau des agents de santé communautaire en leur accordant une rémunération, voire les intégrer à la fonction publique. Des campagnes d'information des femmes en âge de procréer ainsi que des conjoint(e)s et des partenaires sont également nécessaires pour renforcer la sensibilisation.