"Tu peux rester au pays et réussir"
De leur long périple migratoire à leur retour et réintégration au pays, les jumeaux Serge et Bovary Bato racontent comment leurs vies ont changé.
Serge et Bovary BATO, deux frères jumeaux de 34 ans, sont rentrés de leur long périple migratoire en octobre 2018. A leur retour en Côte d’Ivoire, ils ont bénéficié d’une formation en entrepreneuriat dispensée par la Fondation Africaine pour l’Entrepreneuriat et le Développement Economique (FAFEDE) et d’un soutien matériel de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour le démarrage de leur activité. Aujourd’hui, les deux frères gèrent un atelier de réparation et de dépannage d’équipements téléphoniques et informatiques dans la commune de Cocody. Ils racontent.
« J’ai un Brevet de Technicien en Electricité générale donc avant de partir, je faisais déjà des réparations d’appareils et des dépannages. On voulait agrandir mais il n’y avait personne pour nous aider donc on a décidé de partir à l’aventure. L’idée était de gagner beaucoup là-bas pour revenir ensuite et faire quelque chose de sérieux ici », témoigne Serge, le plus âgé des deux.
Leur aventure commence en 2018, à partir de la frontière ivoiro-ghanéenne. « On est passé par le Ghana, le Togo, puis le Nigeria où on a essayé de travailler mais c’était pénible. Ensuite, on est allé au Niger, puis en Algérie où on a travaillé pendant six mois. De là, on a pris le bateau pour rejoindre l’Espagne. Huit mois plus tard, nous avons pris le train pour la France dans l’idée de rejoindre plus tard le Canada. Mais on s’est fait arrêter dans le train entre l’Espagne et la France et de là, on nous a rapatrié au Maroc où on a passé trois mois. Puis on est allé en Mauritanie, au Mali, et au Niger, d’où on est revenu en Côte d’Ivoire en octobre 2018 », poursuit Serge qui n’a oublié aucun détail de leur long périple à travers l’Afrique et l’Europe. Son frère jumeau Bovary, revient sur le désenchantement à leur retour au pays et les nombreuses railleries qu’ils ont dû affronter, en se soutenant mutuellement.
« On a investi des millions dans ce voyage et on a subi des tortures en Algérie. A notre retour, on était abattu et sujet de moqueries », soupire Bovary. Mon frère n’arrivait pas à retrouver sa place. Mais on était là l’un pour l’autre lorsque l’un de nous deux était découragé, on a repris des forces et aujourd’hui, mon frère a retrouvé sa place et la parole, et ça c’est quelque chose de grand. Six mois après notre retour, on a suivi une formation soutenue par l’OIM qui nous a permis de comprendre que c’est possible de bâtir à partir de rien, et ça nous a redonné espoir ».
Pourtant, tout ne fut pas facile pour les jumeaux au début. « Quand on a démarré, nous n’avions pas tout le matériel », se souvient Bovary. « Mais quelques semaines plus tard, un frère nous a prêté 100,000 francs, ce qui nous a permis d’acheter tout ce qu’il fallait. Aujourd’hui, on réussit à payer notre loyer tous les mois, et à se nourrir. On n’arrive pas encore à épargner parce que pour ça, il nous faut plus de matériel mais on garde la foi, on sait qu’on va y arriver. On compte sur ceux qui sont autour de nous, et on ne se décourage pas. Il y a ce défi financier et aussi celui des avancées technologiques : on doit s’adapter pour pouvoir aller plus loin dans notre projet, le faire évoluer et en faire bénéficier ceux qui sont autour de nous », indique Serge qui, comme son frère, reste lucide sur les défis qui leur restent à relever pour pleinement être autonomes.
Au bout de leur témoignage, les frères jumeaux préfèrent insister sur l’illusion de la migration et prodiguer des conseils aux jeunes qui seraient prêts à tout sacrifier pour partir.
« Un conseil pour nos frères ivoiriens qui veulent partir à l’aventure : renseignez-vous bien avant de partir, car la vie est pénible là-bas. On a vu l’esclavage et des gens vendre leurs frères pour s’en sortir. Tu peux rester ici et réussir : même si tu penses ne rien avoir, tu as forcément des connaissances donc tu peux te baser là-dessus pour entreprendre quelque chose. Si tu as confiance en toi-même et qu’un projet te tient à cœur, tu peux t’en sortir. »
Le Gouvernement ivoirien et l’OIM, avec l’appui de l’Union européenne mettent en œuvre depuis 2017, une initiative conjointe pour la protection et la réintégration des migrants en Côte d’Ivoire. A travers cette initiative, l’OIM Côte d’Ivoire fournit aux migrants ivoiriens une aide au retour volontaire et à la réintégration dans leur pays d’origine. Plus de 5 000 ivoiriens ont été aidés au retour volontaire depuis le début du projet et environ 2 000 ont bénéficié d’un appui à la réintégration via des projets communautaires.