« La transformation artisanale du beurre de karité peut durablement renforcer l'autonomisation des femmes rurales »
Présidente d’une coopérative de productrices de karité, Kambou Lydie œuvre à moderniser la production de cette matière première pour l’autonomisation des femmes
Kambou Lydie est originaire du Bounkani, une région du Nord-Est de la Côte d’Ivoire située entre le Ghana et le Burkina Faso. Issue d’une famille de 33 enfants, elle est mariée et mère de deux filles. Elle est la Présidente de la société coopérative des productrices du karité de la région du Bounkani, et 2ème vice-présidente de l'organisation interprofessionnelle agricole Karité de côte d'ivoire (OIA Karité ci), également présidente de l’alliance des femmes entrepreneures et solidaires de Côte d’Ivoire dénommée AFESCI Groupe, une association qui regroupe une cinquantaine de femmes dans la transformation de matières premières locales. Lydie encourage les femmes qui veulent abandonner la production du beurre de karité à cause de la pénibilité, à garder espoir. Pour elle, le secteur du karité est porteur et son combat à elle, est d’œuvrer à obtenir des équipements de bonne qualité pour réduire la pénibilité du travail de ces femmes et leur redonner le sourire afin de réaliser la vision de l’Objectif de Développement Durable 5 qui vise à atteindre l’égalité des sexes et l’autonomisation de toutes les femmes.
Une enfance difficile et un amour inné pour l’agriculture
“ J’avais 14 ans quand j’ai indiqué à mon père que je voulais rentrer à mon village d’origine. Sans bien parler ma langue maternelle et sans connaître personne à Bouna, j’avais le sentiment que les femmes du milieu rural m’interpellaient. Mon père a essayé de me dissuader car j’étais brillante à l’école, mais j’y suis allée quand même. Je pense que c’est l’agriculture qui m’a attirée vers le village et je pense que c’est dans ce secteur que se trouve mon salut. Mon père qui était tout pour moi et mon principal soutien, est malheureusement décédé en 1989. Malgré son décès, j’ai pu continuer les études jusqu’en classe de 3ème grâce à l’aide de mes professeurs. Je pense que mon amour pour l’agriculture et les femmes en milieu rural est inné et cet amour a grandi lorsque sur le chemin de l’école je voyais les femmes en pleine production du beurre de karité braver toutes les difficultés.
Je me suis retrouvée obligée de quitter l’école pour que ma mère assure la scolarité de mes petits frères, j’ai pu suivre trois années de formation pour apprendre la couture et faire de petits commerces. Je suis rentrée dans la vie associative en 2000, avec mes jeunes sœurs pour créer une association de femmes Lobi, les femmes de ma communauté, afin de faire connaître la cuture de mon peuple à Abidjan. L’objectif était d’être représentées au musée des civilisations de la Côte d’Ivoire. En 2015, je suis retournée au village pour former les femmes productrices de karité et créer ma coopérative des productrices du karité de la région du Bounkani. Mon arrivée a permis d’organiser les femmes. Elles ont commencé à travailler et à se déplacer en groupe pour faire face aux dangers et trouver des équipements pour réduire la pénibilité de la collecte.
La collecte et la transformation du karité, une tâche ardue pour les femmes
Le processus de production du beurre de karité implique des tâches lourdes. Les fruits du karité commencent généralement à tomber à partir du mois de mai. C’est un fruit comme le raisin, sucré de manière naturelle et très bon pour la santé. C’est un fruit qu’on ramasse entre le mois de mai et de juillet. C’est une activité matinale car sa collecte est en réalité une course entre les bœufs et les femmes, vue que les bœufs consomment aussi les fruits du karité. La collecte du karité est dangereuse car les femmes sont obligées de se lever tôt, à 5 heures du matin, et c’est là que nous constatons malheureusement des drames tels que des viols, des meurtres. Les femmes sont obligées de marcher de 25 à 40 kms pour chercher le bon karité qui pourra être transformé. Les difficultés de la filière du karité sont nombreuses : ne pouvant transporter 100 kilos de karité, les femmes s’asseyent en brousse pour dépulper les fruits, et n’ayant pas d’équipement pour en faire du jus, du sirop ou de la confiture avec cette pulpe de karité dont elles pourraient tirer des revenus, elles se retrouvent obligées de jeter cette pulpe.
Après la cueillette, les femmes ne reviennent au village qu’avec les noix. Certaines transportent des charges de près 30 kilos et elles sont obligées de le faire pendant les 3 mois de collecte. Une fois au village, il faut automatiquement cuire les noix qui ne doivent pas dépasser 3 jours. Dans certains villages, il n'existe même pas de pompe hydraulique, il n’y a que de l’eau non potable pour cuire les noix, ce qui affecte toute la production. Il faut absolument de l’eau potable pour la production; du coup, les femmes vont refaire une dizaine de kilomètres pour chercher de l’eau potable et revenir pour entamer la cuisson. Pour le séchage, comme nous ne disposons pas de séchoir, il nous faut près de cinq semaines pour sécher au soleil les noix et les amandes. Pour décortiquer les noix et récolter l’amande de karité, il faut s’asseoir sous le soleil avec un bout de bois pour concasser de manière artisanale les amandes délicatement afin de ne pas les fissurer. Par la suite, il faut vanner avec le vent pour séparer la coque des amandes. Au fur et à mesure qu’on sèche, il faut trier les amandes noires pour qu’enfin, au bout de trois semaines, avoir des amandes bien sèches, les mettre dans un sac et les conserver dans nos cuisines. Pour l’étape finale, il faut piler les amandes, les écraser et faire le barattage, laver la pâte avant de cuire le beurre de karité pour finalement obtenir du beurre de karité de qualité.
Me concernant, grâce à la formation que j’ai reçue, je transforme ce beurre débarrassé de toutes les impuretés pour avoir une crème de karité sous emballage parce que je veux respecter l’environnement et pérenniser l’emballage traditionnel qui veut qu’on mette le beurre dans une calebasse ou un canari, afin d’en garder la saveur et la qualité. A côté, je valorise aussi les tourteaux de karité, c’est du charbon écologique. Ce charbon vient des résidus du barattage pendant la production du beurre.
Le soutien d’ONU Femmes a renforcé notre résilience
Si je suis aujourd’hui cette femme aguerrie, formée et battante, c’est parce que j’ai été inspirée par une consultante d’ONU Femmes, Mame Khary Diene. En plus de la formation en transformation de karité et de produits dérivés à base de beurre de karité, j’ai pu personnellement bénéficier de ses précieux conseils qui m’ont permis de tenir parce qu’à un moment donné, je voulais tout abandonner, car je n’avais personne pour m’aider. ONU Femmes Côte d'Ivoire m'a ouvert une porte salvatrice.
Au-delà de la formation, nous avons bénéficié grâce à ONU Femmes de la certification biologique du beurre de karité de Côte d’Ivoire de la coopérative des femmes du Bounkani et la coopérative des femmes du Tchologo; ceci nous a donné de la visibilité partout dans le monde. J’ai pu exposer et vendre mes produits à base de beurre de karité au salon de l’agriculture et des ressources animales en 2019 (SARA 2019) grâce à ONU Femmes. J'y ai rencontré deux partenaires français dont l'un a mis à disposition sa plateforme pour ma vente du beurre de karité dans toute la France et l'autre qui m’a permis d’avoir un équipement. Deux femmes membres de notre coopérative ont participé à un rendez-vous d'échanges à New York aux Etats-Unis où elles ont décroché de fructueuses opportunités puisque nous venions d'obtenir la certification européenne et américaine. Cette foire d'exposition a permis à notre coopérative de nouer des partenariats avec des industriels du chocolat et des cosmétiques pour qu’on puisse avoir des opportunités de ventes de notre beurre bio.
Finalement, quoique les défis soient énormes, mon rêve est d’inonder le monde entier de beurre de karité de Côte d’Ivoire. Malgré toutes ces difficultés, je garde espoir qu’un jour, un investisseur puisse nous fournir des équipements modernes et de qualité pour que nous transformions cette matière précieuse à l’échelle industrielle.