Diénéba Touré, psychologue : "L’écoute, la chirurgie réparatrice et les dialogues communautaires aident à redonner de l’espoir aux victimes et à freiner les mutilations génitales féminines"
Psychologue de formation, Diénéba Touré, a fait de la lutte contre l’excision, une pratique répandue dans sa région d’origine, son cheval de bataille.
Diénéba Touré est chargé de programme Education et Famille à la Fondation Djigui, un partenaire de l'ONU Femmes en Côte d'Ivoire. Psychologue de formation, elle a fait de la lutte contre l'excision, une pratique répandue dans sa région d'origine, son cheval de bataille. Dans ce témoignage, elle explique les tenants sociologiques de cette pratique néfaste qui perdure et contre laquelle l'écoute, la chirurgie réparatrice et la sensibilisation constituent des moyens efficaces de lutte.
"Confrontée pour la première fois aux images des méfaits de l'excision sur les petites filles et les femmes, mon chox m'a poussée à chercher à comprendre pourquoi malgré ses conséquences néfastes qui font énormément souffrir les victimes, cette pratique pedrure encore. J’ai commencé à interroger des membres de ma famille. J’ai été surprise de constater que la majorité des femmes avaient été excisées. Leur vécu de l’excision représentait des souvenirs si difficiles que la plupart d’entre elles n’osaient en parler. Une tante dit avoir eu le dos lacéré pendant son excision par la tôle rouillée sur laquelle elle avait été forcée de s’étendre. Une cousine raconte qu’elle a souffert le martyr pendant la période de guérison de la plaie. Toutes les filles craignaient d’uriner à cause des brûlures qu’elles ressentaient. Ce fut pour elles un grand traumatisme.
"Nous arrivons à faire signer à des leaders communautaires des engagements d'abandon des MGF"
Ces différents témoignages au sein de ma famille ont fait grandir mon intérêt pour la thématique des mutilations génitales féminines au point de décider d’en faire mon sujet de mon mémoire de maîtrise. Aujourd’hui, devenue psychologue, j’écoute de nombreuses survivantes de complications des MGF pour les aider à sortir de leur détresse. J’en ai orienté plusieurs d’entre elles vers un médecin spécialiste en chirurgie réparatrice. J’ai également contribué à la mise en œuvre de plusieurs projets de lutte contre les VBG et les MGF, implémentés dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire qui, selon les MICS, est la zone la plus touchée par cette pratique dans le pays (75,2% en 2016). J’ai été particulièrement marquée par le projet de promotion de l’abandon des MGF dans les départements de Touba et Danané, mis en œuvre grâce au soutien financier et technique de l’ONU Femmes Côte d’Ivoire et du Fonds Français Muskoka. En trois mois, ce projet a permis d’atteindre 942 personnes à travers des dialogues communautaires et de faire signer un engagement d’abandon des MGF par 16 leaders communautaires incluant des chefs de villages et des guides religieux.
L’analyse situationnelle sur les MGF conduite en 2021 par le Ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfant, en collaboration avec l’ONU Femmes Côte d’Ivoire, la Fondation Djigui, et d’autres partenaires techniques et financiers, en vue d’élaborer le Plan national pour l’abandon des MGF en Côte d’Ivoire, fait ressortir plusieurs facteurs socioculturels pour expliquer la persistance de cette pratique néfaste.
"La législation interdisant cette pratique néfaste a renforcé la pratique de l’excision clandestine", explique, inquiète, Diénéba Touré.
Les normes et croyances sociales tendant à contrôler la sexualité de la femme et à stigmatiser la femme non excisée : l’une des raisons pour laquelle l’excision est pratiquée, est le contrôle de la sexualité des filles, de la virginité jusqu’au mariage, et des femmes, pour prétendument les rendre fidèles à leurs époux. Sur cette base, les filles non excisées sont traitées de femmes impures sans aucune valeur et rejetées par leurs communautés.
L’existence de mythes et de pratiques mystiques liés : La plupart des exciseuses interrogées lors de cette enquête soutiennent qu’elles seraient sous l’emprise de ‘génies’, des créatures invisibles considérées comme des divinités, de qui elles auraient reçu leurs pouvoirs d’excision. Le mythe des supers pouvoirs attribués au clitoris ablaté a également été relevé par les communautés interrogées.
Le rôle social des exciseuses : Les entretiens avec d’ex-exciseuses, des femmes et jeunes, des chefs de communautés, de villages… ont montré que les exciseuses jouent un rôle de premier plan dans les communautés qui pratiquent encore l’excision. Elles peuvent cumuler plusieurs rôles : matrones, conseillères du roi ou du chef, guérisseuses, etc. Dans certaines communautés, elles sont les dépositaires de la tradition du village. Par conséquent, leur disparition entraînerait la disparition du patrimoine culturel du village.
La discrétion qui entoure la pratique, toujours tabou : Un des constats de cette étude est que la législation interdisant cette pratique néfaste a renforcé la pratique de l’excision clandestine. Par ailleurs, les victimes sont de plus en plus jeunes (à partir de 6 mois).
Le caractère transfrontalier de la pratique : L’on constate de plus en plus, du fait de la législation, l’immigration en Côte d’Ivoire d’exciseuses venues de pays limitrophes et des voyages de femmes et jeunes filles vers ces pays frontaliers pour se faire exciser. Dans plusieurs villages, il nous est revenu que les vacances scolaires étaient le moment opportun pour plusieurs familles d’aller faire exciser leurs filles dans les pays voisins.
En 2016, dans le monde, plus de deux cents millions de filles et de femmes âgées de 15 à 49 ans avaient subi des Mutilations Génitales Féminines (MGF), selon l’UNICEF. En Côte d’Ivoire, les enquêtes MICS (Multiple Indicator Cluster Surveys, enquêtes en grappe à indicateurs multiples) estiment à 36, 7% le taux de filles et de femmes victimes de cette violence.